En classe de 4ème et 3ème (13-14 ans quoi), j'avais deux bêtes noires.
Le premier s'appelait Lemaire (je ne me souvient plus de son prénom), et avait juré de me faire la peau.
Lemaire était construit à peu de choses près sur le même modèle que moi : c'était un avorton des plus nerveux.
Il avait un sacré avantage sur moi : des amis. Enfin, non, moi aussi j'en avais. Mais mes amis à moi étaient non-violents, attitude totalement désespérante en période de guerre.
Donc, dans les batailles rangées, Lemaire se pointait à 10 et moi j'étais environ un.
En clair, on me tenait quand c'était à lui de cogner et quand c'était à moi... on me tenait aussi. Bizarrement, ça tournait assez rarement en ma faveur.
Epilogue, l'année se termina par une déclaration de guerre ouverte. Lemaire m'envoyant un immense crétin pour me réduire la tête.
Mes potes ayant refusé de me planquer dans le gymnase pour en respecter les horaires (ce qui a du me donner le goût pour les systèmes administratifs), j'avais, par un habile discours, réussi à manipuler le grand crétin pour qu'il organise un "vrai" duel, entre Lemaire et moi, sans que personne ne tienne personne.
Ca avait eu lieu derrière le stade, le ciel était bas, l'affrontement fut sanglant... et s'était terminé pas un lamentable nul qui n'avait contenté personne.
Lemaire, voila un ennemi, un vrai, pas con, franc. Un ennemi immuable et déclaré.
Le second s'appelait Cedric James (prononcez "Jamesse", à la picarde). Celui-là, puisse-t-il ne pas googler son nom et tomber sur ces pages, était à mes yeux la personnification de l'irrespect. Il m'énervait à un point... ralala, j'ai pas de mots pour vous dire à quel point.
En gros, ce type à la gueule d'ange et habillé en enfant de coeur, la mèche blonde toujours bien plaquée, se disait l'ami de tout le monde (déjà, ça énerve, hein ?)
Le truc, c'est que ce faux jeton absolu collait des taquets dès que vous aviez le dos tourné. Et quand vous cherchiez des explications, il se confondait en excuses, platitudes et flatteries.
Mes potes non-violents avaient toujours veillé à ce que je ne le touche pas, et Cedric James en jouait continuellement.
Il me pourrissait quand je n'étais pas là, me mettait des coups en douce et au moment ou je me retournais pour les lui rendre, se confondait en excuses sans manquer d'attirer l'attention de tous, pariant, à raison, que je n'endosserai pas le mauvais rôle de celui qui semble taper le premier.
Epilogue, il avait était un peu trop loin, une fois, m'empoignant et me murmurant des insultes à l'oreille, et jouant très fort le rôle de la victime sous le regard de dizaines de nos potes rassemblés pour la rentrée en classe.
La cloche de fin de récré ne l'avait pas sauvé, j'avais eu le temps de le mettre par terre et de lui péter le genoux avant que nos amis ne nous séparent.
Voila un ennemi à la con, avec qui, quoique vous fassiez, vous étiez le méchant aux
yeux de tous, et qui s'en sortait toujours pour être le gentil, victime de ces petits défauts insignifiants (la perversité, la tromperie, le mensonge, l'hypocrisie, etc...) et des gens (comme moi) qui ne sont pas capables de passer outre.
Ce sont les seules véritables affrontements que j'ai connu dans ma vie (toutes les autres prises de têtes, par exemple avec des chauffards aussi tarés qu'anonymes, ou des poivrots qui tentent de vous piquer votre larfeuille sans tenir debout, ne souffrent pas la comparaison).
La première conclusion à ces histoires, c'est que je préfère très nettement Lemaire à James, et ce même si le premier m'a laissé bien des bleus et le second pas un.
La seconde conclusion, c'est que ces deux historiettes ont un épilogue. Quelque part, c'est rassurant.
La troisième, c'est que parfois, l'histoire se répète.
Dans ces cas, là, on sait, on sent, presque instinctivement, comment ça va se terminer : l'enfoiré se fait plaindre avec sa putain d'attèle en mousse et tout le monde vous regarde de travers.
Ca s'appelle l'expérience, et ça permet de ne pas dépenser son énergie pour rien, même si ça fait sacrément mal au cul parce qu'on sait ce qu'on perd.
Alors profitons en. Et si la boucle boucle, dans vingt ans, j'aurai retrouvé mes potes et il ne sera peut-être pas trop tard pour se marrer.